28
Dangereuse rencontre

Couvert de sueur et de fort mauvaise humeur, Alix émergea d’un sommeil chaotique, peuplé de cauchemars insupportables. Comble du comble, il avait rêvé de Naïla, enceinte jusqu’aux yeux, incapable de voyager, le suppliant de la tuer pour lui éviter d’accoucher dans d’atroces souffrances, loin des siens.

Pour ajouter à son humeur massacrante, le jeune homme réalisa qu’il ne s’était pas lavé depuis plus d’une semaine ; ses vêtements étaient sales et en mauvais état, et sa barbe tellement longue qu’elle ne piquait même plus au toucher. Répugnant ! Il devait faire peur à voir.

Dans l’heure qui suivit, il fit monter une bassine d’eau très chaude, puis une deuxième. Une troisième fut finalement nécessaire pour venir à bout de la crasse dont il était couvert. Il enfila ensuite un pantalon et une chemise fournis par la maison. Il hésita à se raser, sachant qu’il avait l’air beaucoup moins amical avec une barbe de plusieurs jours que rasé de près, ce qui s’avérait souvent utile. Une fois redevenu présentable, il se dirigea vers la chambre que Dame Frénégonde avait aimablement attribuée à Justin.

* *

*

— Je veux juste savoir si tu es bien le mari de Sacha.

Bras croisés, Alix attendait une réponse après avoir posé sa question pour la troisième fois. Assis sur le lit, le jeune homme le regardait avec une indécision qui commençait à porter sur les nerfs du guerrier. Celui-ci n’avait pas toute la journée et sa patience – qui n’avait jamais été légendaire – s’effritait à grande vitesse. Déjà qu’il avait sauvé la vie de cet homme en plus de lui fournir une certaine sécurité…

— Écoute, soit tu me réponds par toi-même, soit je t’oblige à cracher la réponse dont j’ai besoin. À toi de choisir.

Avec nonchalance, Alix fit craquer ses doigts. Il n’aimait pas utiliser ces méthodes avec les faibles, mais la fin justifiait parfois les moyens. Le résultat ne se fit pas attendre.

— D’accord, d’accord. C’est moi. Qu’est-ce que vous me voulez ? demanda Justin en haussant légèrement le ton, tentant d’avoir l’air plus brave qu’il ne l’était en réalité.

Alix sourit malgré lui ; les humains étaient tellement prévisibles.

— Te donner des nouvelles de Sacha et de tes enfants et discuter de choses très sérieuses…

— Comment savez-vous que j’ai des enfants ?

Mais l’ombre qui traversa le regard de Justin démentait sa méfiance. Le garçon avait désespérément besoin de parler de ce qu’il avait vécu. Sans plus attendre, Alix lui raconta la découverte de Sacha, en compagnie de Zevin, de même que les événements qui avaient suivi. Il rassura Justin sur la santé et la sécurité de Sacha, lui dit la vérité quant à l’origine des enfants et de l’endroit où ils se trouvaient, mais il passa sous silence la tentative de Wandéline de mettre à mort la petite fille. Ensuite seulement, Alix en vint à la raison pour laquelle il l’avait sauvé des griffes de Karkas.

— J’ai besoin de la carte que possédait ton grand-père. C’est très important.

— Pourquoi ? Que voulez-vous en faire ?

Au grand soulagement d’Alix, il n’avait pas nié l’existence du parchemin ou déclaré l’avoir perdu. Probablement avait-il compris qu’il ne servirait à rien de jouer l’ignorance.

— Je ne veux rien en faire du tout, sinon la copier. Pour le reste, ça ne te concerne pas.

La réponse avait été douce, mais ferme. Justin soupira.

— Ça va vous paraître stupide, mais elle est enterrée dans une boîte de métal, dans une forêt très loin de la maison, sur les terres des Canac. C’est là que j’étais parti quand vous êtes arrivé chez moi. La dispute avec Sacha n’était qu’un prétexte. Je ne voulais pas qu’elle sache que je me débarrassais de la carte. Le problème des enfants suffisait pour le moment.

Le jeune homme s’accorda une courte pause pour reprendre son souffle. Il parlait très vite, comme s’il craignait de ne pas avoir le courage de continuer son histoire jusqu’à la fin.

— J’étais certain que cette carte était importante, même si je disais le contraire à Sacha, pour ne pas qu’elle s’inquiète. Malheureusement, je ne savais plus quoi en faire ni à qui la confier pour qu’elle ne tombe pas entre de mauvaises mains. J’avais peur que, par je ne sais quelle magie, elle attire chez nous ceux qui la recherchaient peut-être encore.

— Tu vas m’y conduire. Maintenant ! ordonna Alix.

Les épaules de Justin s’affaissèrent. Il n’avait vraisemblablement aucune envie de se trouver une fois de plus en présence de la carte – maléfique, de son point de vue – de son aïeul.

— Et si je vous explique comment la retrouver, ça vous irait ?

Alix serra les dents ; le ton geignard l’irritait.

— Pour que tu profites de mon absence pour disparaître ?

— Je pourrais lui tenir compagnie. De cette façon, il sera toujours ici à ton retour et ça m’évitera d’être encore mêlé à tes histoires de fou.

Alix se retourna brusquement au son de cette voix familière. Zevin se tenait dans l’embrasure de la porte, en excellente forme, ce qui était rassurant. Moqueur, le guérisseur ajouta :

— Eh bien ? On ne tend pas les bras à son vieil ami disparu depuis plusieurs jours ?

Alix leva les yeux au ciel avant de lui donner une accolade chaleureuse. Puis il se dégagea, visiblement indécis. Zevin prit la parole à sa place.

— Tu dois d’abord retrouver cette carte. Nous nous raconterons ensuite ce qui s’est passé pendant mon absence.

Alix sourit. Zevin savait toujours mettre le doigt sur ce qui le tracassait. Sans plus atermoyer, le Cyldias marcha vers Justin et posa une main sur son front. Surpris par la brusquerie du geste, le jeune homme eut un mouvement de recul, mais Zevin le rassura. Le guérisseur plissa cependant les yeux. Apparemment satisfait, Alix fit ensuite signe à Zevin de le suivre à l’extérieur de la pièce.

— Depuis quand es-tu capable de fouiller les mémoires de cette façon ? s’enquit celui-ci, sourcils froncés presque jusqu’à s’en toucher.

Alix haussa les épaules.

— Depuis toujours, je suppose. J’ai agi par instinct. C’était la meilleure façon d’obtenir les informations dont j’avais besoin sans perdre des heures à négocier…

— Je croyais que seuls les Sages et les Filles de Lune assermentées étaient capables de ce genre de prouesses, insista Zevin, plus songeur qu’inquiet.

Se passant une main dans les cheveux, le regard soudain ailleurs, Alix rétorqua :

— Je n’en suis plus à une étrangeté près…

Le guérisseur concéda qu’il n’y avait rien de plus vrai. Alix fut soulagé que son ami abandonne rapidement le sujet. Il avait été le premier surpris de son réflexe envers Justin, même s’il n’en avait rien laissé paraître. Il avait la nette impression qu’un changement s’opérait en lui depuis sa rencontre avec son père, mais il aurait été bien embêté de dire lequel exactement.

« Pourvu que ça me serve plus que ça ne me nuise », pensa-t-il.

* *

*

Alix était maintenant de retour devant la maison de Sacha et Justin. La porte pendait sur ses gonds. Il sonda les environs ; pas la moindre trace de vie pensante.

À l’intérieur, le désordre était encore plus grand que la dernière fois qu’il était venu. De toute évidence, l’endroit avait été fouillé de fond en comble. Le plancher avait été arraché, les pierres de la cheminée descellées, la paillasse éventrée, l’armoire vidée de son contenu. Pourquoi maintenant ? Qu’espérait-on trouver ? Justin avait-il parlé du parchemin à quelqu’un en qui il avait confiance et qui l’avait trahi ? Avait-on fouillé sa mémoire sans qu’il le sache ? Après toutes ces années, cherchait-on réellement la carte ou plutôt des informations sur les enfants ? Rien dans ce qu’il voyait ici ne pouvant lui apporter de réponses à ses questions, Alix ressortit.

Il se mit aussitôt en route. Il marcha pendant plus de deux heures sur les terres d’Alejandre. Par choix, il ne se déplaçait pas magiquement. Il avait besoin de réfléchir et de se dégourdir aussi. Il arriva bientôt en vue de la forêt et du mont qui la surplombait. La cachette devait être au pied de celui-ci, sous les racines d’un chêne centenaire.

Le Cyldias n’eut aucune peine à retrouver l’arbre en question. Il se raidit soudain, tous ses sens en alerte. Un représentant d’une espèce pensante venait tout juste d’apparaître à l’orée du bois, mais Alix était incapable d’en déterminer l’espèce ; il y avait une étrange aura de protection autour. Rapidement, il retourna la terre sous la plus grosse racine et trouva la caissette de métal. Il allait disparaître quand ses membres s’engourdirent subitement, lui faisant lâcher prise. La boîte s’écrasa sur le sol dans un bruit de ferraille.

— Deux fois sur mon chemin dans la même semaine, c’est beaucoup plus que je ne puis en supporter…

Alix reconnut la voix de la créature encapuchonnée qui s’en était prise à Nichna quelques jours plus tôt. Il jura silencieusement. Il avait peu de chances de sortir de cet affrontement vivant si le sorcier était aussi puissant qu’il le croyait. Le Cyldias ignorait s’il pouvait encore parler ou bouger, mais il s’abstint de vérifier. Il valait mieux ne pas montrer le moindre signe de tension ou d’énervement.

Le sorcier fit pivoter Alix sur lui-même pour lui faire face.

— Peut-être aimerais-tu savoir qui je suis ? demanda Saul, ironique.

Il s’approcha d’Alix jusqu’à le toucher, mais les yeux de celui-ci ne rencontrèrent que les ténèbres dans l’ouverture du capuchon.

— Tu crois que je te ferais cette faveur ? ricana-t-il, sarcastique.

Alix n’appréciait guère la tournure que prenait la conversation.

— Dommage que nous cherchions les mêmes choses, mais pour des raisons différentes, continua l’inquiétant personnage en se penchant pour ramasser la petite boîte de métal. Je suis convaincu que nous aurions fait une équipe incroyable tous les deux…

D’un mouvement du majeur, il fit sauter la serrure rudimentaire et ouvrit le coffret pour y prendre le parchemin. Sans même le dérouler, Saul le glissa sous sa longue cape, recula de quelques pas et disparut. Deux autres silhouettes encapuchonnées se matérialisèrent alors et s’avancèrent lentement vers Alix. Leur visage était toutefois bien visible. Alix pensa un instant qu’il se serait contenté d’une ombre semblable à celle du sorcier.

Deux Ybis lui faisaient maintenant face, leur demi-visage fendu d’un rictus méprisant. La deuxième moitié de chacune des créatures était totalement translucide, mais suffisamment solide pour leur permettre de se tenir debout et marcher sans sautiller. Comme Alix l’avait présumé lors de leur première rencontre, il y avait une femme et un homme, tous deux dans la vingtaine. La femme avait les cheveux noirs, un long nez droit et des pommettes saillantes. Elle était très grande, environ un mètre quatre-vingts, filiforme, avec des jambes beaucoup trop longues pour son corps. L’homme, pour sa part, avait des cheveux bruns fadasses, un tout petit nez qui semblait décentré, une bouche trop large. Il était de la même taille que la femme, mais avec un effet de corps inversé, soit de courtes jambes et un torse très long. Tous deux avaient les yeux noirs caractéristiques des Ybis où la prunelle et l’iris se fondaient en une seule masse particulièrement dérangeante.

Sans prévenir, l’Ybis femelle envoya une gifle magistrale à Alix, faisant valser sa tête vers la gauche. Bêtement, celui-ci se dit d’abord que sa tête avait encore toute sa mobilité malgré le sortilège du sorcier, avant de se demander pourquoi il méritait pareil traitement.

— Depuis le temps que je rêvais de te toucher, dit l’Ybis femelle avec ironie, le grand moment est enfin venu. Désolée, je n’ai pas pu résister…

Elle ricana, puis tendit la main vers Alix. Il la fixa d’un regard intense, presque défiant. Par expérience, il savait qu’il valait mieux ne jamais quitter des yeux des êtres comme ceux-là, surtout en position de faiblesse. L’Ybis prit le menton du guerrier entre son pouce et son index et examina son visage, la tête légèrement penchée sur le côté, comme si elle l’évaluait. Puis elle le lâcha et s’éloigna de quelques pas, avant de demander à son pendant :

— Qu’est-ce que tu en penses ? Tu crois qu’il aurait fait un compagnon acceptable et que j’aurais dû me plaindre à Alana ? Après tout, il me revenait de droit, non ?

— Petite sœur, tu mérites beaucoup mieux que ça ! persifla-t-il, dédaigneux. Je ne peux pas m’imaginer que tu te contenterais de cet humain si ordinaire.

— Mais il n’est pas ordinaire ! protesta la femme avec un accent théâtral. C’est un Être d’Exception, ne l’oublie pas…

Tout, dans le comportement comme dans le ton, indiquait que ce statut particulier n’était pas considéré par les Ybis comme quelque chose d’extraordinaire. Toujours incapable de bouger, Alix tentait de saisir les sous-entendus de la conversation. Il savait maintenant que ces Ybis étaient parents, donc probablement jumeaux, et qu’ils parlaient un étrange langage entre eux qu’il parvenait à comprendre grâce à l’anneau de Salomon. Mais que signifiaient ces allusions à Alana ?

Trop absorbé par ses pensées, Alix perçut à la dernière seconde le mouvement de l’Ybis mâle qui l’empoigna par les épaules, avant de lui administrer un magistral coup de pied entre les jambes. Le sortilège fut rompu au même moment et il s’effondra au sol, le souffle coupé, la douleur le pliant en deux. Il reçut alors un deuxième coup de pied, d’une force surprenante, dans l’abdomen cette fois. Son premier réflexe fut de disparaître, mais sa magie fit une fois de plus des siennes et il resta sur place. Avant qu’il ne puisse faire une seconde tentative, il se sentit agrippé par les cheveux et remis debout sans plus de cérémonie. Vacillant sur ses jambes, il voulut lancer un sortilège en direction de l’Ybis femelle, mais une douleur cuisante dans l’épaule gauche lui fit perdre son peu de concentration. Aussitôt, le sang chaud se répandit le long de son bras. Il tourna la tête juste à temps pour voir l’Ybis mâle, une épée dans les mains, qui regardait la lame maculée de sang avec une fascination morbide.

— J’ai toujours préféré les coups physiques à la magie. C’est moins rapide et il faut faire davantage d’efforts, mais le résultat en vaut drôlement la peine ! s’exclama-t-il, enthousiaste.

« Pauvre imbécile », pensa Alix, avant de lancer un premier sortilège. Le résultat ne fut pas celui souhaité alors que la brûlure qui aurait dû faire lâcher l’épée à l’Ybis fut ressentie par Alix, qui retint un cri de douleur. « Un retour de sortilège », pesta-t-il, la main brûlante. Il tourna la tête vers l’Ybis femelle, qui souriait de contentement.

— Mon frère a la mauvaise habitude de sous-estimer ses adversaires, dit-elle dans un haussement d’épaules arrogant au possible. Normal que je veille sur lui…

Profitant de l’inattention d’Alix, l’autre lui donna un coup d’épée sur la cuisse droite, l’entaillant profondément. Jurant et hurlant tout à la fois, le Cyldias utilisa un sortilège qu’il savait impossible à détourner, avant de s’effondrer, sa jambe blessée ne supportant plus son poids. Un cri de surprise, suivi d’un hurlement de douleur, lui confirma qu’il avait bien atteint sa cible.

L’Ybis femelle plissa les yeux et la colère déforma ses traits déjà peu flatteurs. Elle s’apprêtait à riposter quand la voix irritée du sorcier se fit entendre sans qu’il apparaisse.

— Suffis, Fonzine ! Tu devais seulement l’effrayer, pas le blesser. Et tu n’as même pas su contenir les élans destructeurs de ton frère. Dois-je vous rappeler que cet homme ne doit surtout pas mourir ? Et encore moins de vos mains ? Il est impératif qu’il ramène d’abord ta sœur de Brume…

Soudain moins effrontée, la dénommée Fonzine baissa brièvement la tête, avant de la relever dans une attitude de défi. Plantant ses yeux glauques dans ceux étoilés d’Alix, elle grinça :

— Dès que nous aurons tous les éléments, je prendrai plaisir à vous tuer, ma sœur et toi, et à garder vos têtes en souvenir, protégés d’Alana ou pas…

Malgré la souffrance qui empirait et la faiblesse qui le gagnait, Alix adressa à Fonzine un sourire insolent. Il vit alors la haine pure traverser les yeux de sa vis-à-vis avant qu’elle ne disparaisse. D’un rapide coup d’œil, Alix constata que son frère en avait fait autant. Pour sa part, il rassembla tout juste assez d’énergie pour envoyer un message télépathique à Zevin, avant de tenter d’enclencher ses pouvoirs de guérison. Même si l’endroit n’était certes pas idéal pour récupérer, il n’avait pas le choix. Il n’aurait pas eu la force de se trouver un abri. Les paroles du sorcier résonnaient encore dans sa tête :

— Il ne doit pas mourir… Il doit ramener ta sœur de Brume…

* *

*

Incapable de s’enfermer dans une cellule temporelle ou de se soustraire à la vue, Alix n’avait eu d’autre possibilité que d’entreprendre sa guérison au vu et au su de tous. Seul dans une forêt peu fréquentée, il avait sombré dans l’inconscience presque immédiatement après qu’une douce lumière verte l’ait enveloppé. Le jeune homme avait à peine eu le temps de se dire que ses blessures étaient probablement trop profondes pour qu’il y arrive sans aide avant que la noirceur ne l’enveloppe.

Du haut de sa voûte céleste, Alana regardait l’enveloppe traditionnellement verte changer progressivement de couleur, jusqu’à prendre une teinte dorée que bien peu de mortels avaient pu observer au cours des sept derniers siècles. Avec un attendrissement presque déplacé pour une divinité, elle murmura :

— Jamais le destin n’a pris autant de plaisir à éprouver un homme, mais il est aussi capable de se racheter de belle façon. Tu es promis à un avenir exceptionnel, Alix de Bronan, et les dieux ne te feront pas de cadeau. La nature t’a heureusement doté d’une particularité qui s’épanouit maintenant grâce à la colère de ton père. Puisse cette transformation te permettre de réussir là où tous ont échoué…

* *

*

À une cinquantaine de mètres de l’arbre centenaire au pied duquel gisait Alix, Justin et Zevin s’arrêtèrent net. Une étrange lueur filtrait, alors que la nuit achevait de tomber. Avec précaution, le guérisseur sonda les environs, même s’il savait ne pas avoir les talents d’Alix pour détecter une présence ennemie. Il s’approcha lentement, un peu inquiet de ce qu’il pourrait découvrir. Accroché à ses basques, Justin avançait à contrecœur. Bien qu’il fit souvent le fanfaron, il craignait la magie depuis toujours. De plus, son voyage magique jusqu’ici l’avait laissé légèrement abasourdi…

La scène qu’ils découvrirent les laissa sans voix : au pied d’un arbre majestueux, le corps d’Alix reposait, enveloppé d’un cocon de lumière dorée. Zevin s’interrogea puisque les enveloppes de guérison des êtres magiques étaient habituellement bleues ou vertes. Fasciné, il s’approcha encore, remarquant de petits points scintillants qui flottaient à l’intérieur du cocon. Zevin fut soulagé de constater que la poitrine d’Alix se soulevait dans un souffle régulier. Deux points du corps du Cyldias disparaissaient sous une épaisse couche de minuscules insectes lumineux munis d’ailes dorées et translucides. Zevin se pencha pour voir de plus près.

— Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? murmura le guérisseur. Comme il tendait la main pour toucher ce qui ressemblait à de la lumière solide, un cri le fit brusquement reculer. Il tourna rapidement la tête dans toutes les directions, en cherchant la provenance. Ce fut Justin qui trouva le premier, désignant quelque chose sur une des branches basses de l’immense chêne.

Zevin retint difficilement une exclamation de surprise. La créature profita de cette attention pour faire passer un message dans la langue des Anciens que, de toute évidence, elle ne maîtrisait pas très bien. Le guérisseur ne comprit que quelques mots ici et là. Il crut cependant saisir l’essentiel : ON NE TOUCHE À RIEN ! Par signes, il signifia à la créature qu’il avait compris. D’un signe de tête, celle-ci signala qu’elle avait compris à son tour. L’attente commença…

* *

*

Dans une profonde caverne du territoire de Bronan, une magnifique Ednée regardait avec fascination les images qui se formaient sur le sang de dragon qui emplissait sa petite marmite. Des larmes de bonheur brillaient au coin de ses yeux si particuliers ; elle les laissa simplement glisser. Elle attendait depuis tellement longtemps la transformation de son fils que chaque nouveau pas en ce sens l’emplissait d’une joie sans borne et d’un soulagement manifeste. Elle avait toujours craint que la particularité d’Alix ne puisse jamais s’épanouir à cause des dommages subis alors qu’il n’était qu’un nouveau-né sans défense. Sa propre mère avait alors utilisé un vieux sortilège qui empêchait la mutation de s’effectuer tout en protégeant le nourrisson. D’ailleurs, Solianne en voulait encore beaucoup à Roderick comme à sa mère. Sans leurs interventions, Alix serait depuis longtemps celui qu’il devrait être. Par la bande, elle s’en voulait à elle-même de n’avoir pas fait le bon choix, de ne pas avoir su trouver le bon géniteur. Mais le destin s’était racheté de belle façon en amenant la jeune Andréa à elle peu de temps après la naissance.

En soupirant, Solianne s’arracha à la contemplation de son précieux fils. D’un mouvement de griffes, elle fit disparaître la vision réconfortante pour la remplacer par celle, beaucoup moins agréable, des bêtises de son autre fils. Impuissante, elle le regardait progresser vers la frontière des Terres Intérieures, avec ses airs de conquérant et son arrogance habituelle. D’un geste rageur, elle lança une petite pierre dans la marmite et l’image dérangeante s’évanouit sur-le-champ, ne laissant que des rides à la surface du liquide pourpre. Un grognement se fit alors entendre et elle soupira à nouveau.

— Je sais, Contran. Je ne devrais plus faire apparaître d’images d’Alejandre depuis longtemps, mais c’est plus fort que moi. Je n’arrive pas à accepter, et surtout à comprendre, que les dieux aient jugé bon de me donner deux fils si différents pour la seule raison que l’un doit contrebalancer l’autre. C’est complètement ridicule. Si les divinités tenaient tant à redonner l’équilibre au monde de Darius, pourquoi n’ont-elles pas fait les choses simplement ? Pourquoi faut-il que nous subissions encore des années de guerre, de souffrance, de bêtise et de magie destructrice ? Pourquoi Gontran, pourquoi ?

L’immense dragon à qui s’adressait cette diatribe, roulé en boule sur le sol, cligna de l’œil pour signifier qu’il avait écouté jusqu’à la fin. Puis, d’un mouvement de sa longue tête, il montra la récente cicatrice sur son flanc droit, avant de grogner à nouveau.

— D’accord, d’accord ! J’ai compris ! capitula Solianne. Tu ne me donneras plus de ton sang s’il doit servir à me torturer au sujet d’Alejandre…

La belle hybride caressa la tête de son compagnon si spécial avec tendresse. Dommage qu’il soit devenu trop vieux pour voler. Elle aurait bien aimé prendre l’air avec lui pour se changer les idées, mais elle devrait y aller seule une fois de plus…

 

Le talisman de Maxandre
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